Il y a bien longtemps, en des temps reculés où les fées et les druides régnaient encore sur les landes brumeuses de la Bretagne, s’étendait une cité au bord de l’océan, splendide et mystérieuse. Cette ville était nommée Ys, la « cité d’or ». Bâtie sous le règne du puissant roi Gradlon, elle s’élevait comme une perle entre mer et ciel, protégée par des digues colossales qui la gardaient des assauts tumultueux des vagues de l’Atlantique.
Ys était incomparable. Ses tours étaient faites de marbre et d’or, ses rues pavées de pierres précieuses, et la mer, tout autour, faisait résonner la cité d’un murmure constant, comme une berceuse éternelle. Le roi Gradlon, homme sage et respecté, gouvernait cette merveille depuis son palais éclatant. Mais derrière la magnificence des lieux, l'ombre du destin se profilait, portée par la mer.
Au cœur de cette légende se trouve la fille du roi, la belle et énigmatique Dahut. On disait qu'elle avait hérité de la beauté des fées et de la force des océans. Dahut aimait profondément la mer, et peut-être, trop intensément. Fascinée par le mystère des flots, elle avait fait de la mer son alliée, construisant Ys au plus près des vagues, mais aussi au bord de l’abîme. Elle était connue pour ses plaisirs démesurés et sa passion pour les fêtes nocturnes, où la musique et la danse envoûtaient la cité jusqu’aux premières lueurs du jour.
Or, la ville, bien que resplendissante, était fragile. Si ses remparts gardaient les flots à distance, ils ne pouvaient le faire que grâce à une clé précieuse, forgée par les druides eux-mêmes. Cette clé contrôlait les portes de la mer. Elle était gardée par Gradlon avec la plus grande vigilance, car si ces portes venaient à être ouvertes, l'océan engloutirait Ys en un instant.
Mais un soir, tout bascula. Un étrange chevalier, venu de l’océan, apparut lors d’un bal fastueux dans la cité. Beau et mystérieux, il attira l’attention de Dahut. Aveuglée par le charme de cet inconnu, elle se laissa convaincre de lui voler la clé de son père. Enivrée par l’ivresse de la fête et par l’amour qu’elle croyait avoir trouvé, Dahut déroba la clé sacrée et la donna au chevalier. Mais dès lors que celui-ci ouvrit les portes de la mer, la trahison fut révélée.
Une tempête effroyable s'abattit alors sur Ys. Les vagues, furieuses et implacables, se ruèrent sur la ville. Les eaux envahirent les rues, les palais, engloutissant peu à peu la splendeur d’Ys. Les habitants fuyaient en vain, cherchant à échapper à la montée inexorable des flots.
Voyant la catastrophe imminente, le roi Gradlon enfourcha son cheval magique, Morvarc’h, capable de galoper sur l’eau, et tenta de sauver sa fille. Mais tandis qu’ils fuyaient, la voix de saint Guénolé, un saint homme ayant prédit la chute de la ville, retentit dans les vents hurlants : « Abandonne ta fille, ou péris avec elle ! » Comprenant que Dahut était la cause de la destruction, Gradlon, le cœur déchiré, la laissa tomber dans les profondeurs de l’océan.
Dahut disparut dans les vagues, mais la légende raconte qu’elle ne périt pas vraiment. Transformée en sirène, elle régnerait désormais sur un royaume sous-marin, attirant les marins imprudents vers leur perte. Quant à la cité d'Ys, elle demeure à jamais enfouie sous les eaux, quelque part au large de la baie de Douarnenez. Parfois, dit-on, lorsque les vents se lèvent et que la mer est calme, on peut entendre résonner les cloches d’Ys, témoins d'une gloire perdue.
Ainsi se termine la légende de la cité d’Ys, une histoire où la beauté et l'orgueil se sont heurtés à la puissance indomptable des océans. ■
La légende de Lancou, une histoire ancrée dans les brumes mystérieuses de la Bretagne, se raconte depuis des siècles dans les villages, transmise autour des feux de cheminée par des voix aux accents anciens. Lancou, petit hameau niché au cœur des landes bretonnes, était autrefois un lieu où l’on disait que la frontière entre le monde des vivants et celui des esprits était mince, presque imperceptible.
Au Moyen Âge, vivait à Lancou une jeune femme nommée Maëlys, célèbre pour sa beauté et sa douceur. Sa réputation s'étendait bien au-delà des terres, et nombreux étaient les hommes qui cherchaient à conquérir son cœur. Pourtant, Maëlys ne souhaitait ni richesse ni statut. Elle était amoureuse de Gwénolé, un simple pêcheur du village. Leur amour était pur, leur promesse de se marier immuable. Cependant, leur bonheur attira l’attention d’une entité maléfique, le Seigneur Noir d'Ankou, le gardien des âmes perdues.
L’Ankou, dans le folklore breton, est souvent décrit comme la personnification de la mort. Vêtu d'une cape sombre, il conduit sa charrette grinçante à travers les chemins pour recueillir les âmes des défunts. Cet Ankou particulier n'était pas comme les autres. Ses yeux flamboyaient d’une lumière rouge, et sa charrette semblait flotter dans l'air plutôt que d’avancer sur le sol. Il n’était pas seulement là pour emporter les morts, mais aussi pour semer la désolation parmi les vivants. Il avait été attiré par l’innocence et la beauté de Maëlys, et son désir de la posséder dépassait les frontières de la vie et de la mort.
Une nuit froide de novembre, alors que le vent hurlait à travers les arbres tordus des landes, l’Ankou apparut devant la demeure de Maëlys. D’un geste de sa main squelettique, il tenta de la séduire, lui promettant richesse, jeunesse éternelle et pouvoir. Mais Maëlys, fidèle à son amour pour Gwénolé, refusa ses avances avec fermeté. L’Ankou, fou de rage d’avoir été rejeté, lança une terrible malédiction sur le village de Lancou.
Dès lors, chaque nuit, les habitants entendaient le sinistre grincement de la charrette de l’Ankou qui résonnait dans les rues vides. La peur s’installa, car chacun savait que la charrette venait chercher une âme. Et comme annoncé dans la malédiction, chaque soir, un habitant de Lancou mourait subitement, emporté par l’Ankou dans son royaume de ténèbres.
Maëlys, désespérée et rongée par la culpabilité, chercha un moyen de briser la malédiction. Elle se rendit chez une vieille guérisseuse, connue pour sa sagesse, et lui demanda conseil. La guérisseuse lui révéla que seule la lumière du véritable amour pouvait vaincre l’Ankou. Mais pour cela, Maëlys devait accomplir un acte de courage immense : descendre dans les profondeurs du monde des morts et affronter le Seigneur Noir lui-même.
Armée d’une simple lanterne et de son amour inébranlable pour Gwénolé, Maëlys entreprit ce voyage périlleux. La route était longue et semée d'embûches, mais sa foi la guidait à travers l’obscurité. Enfin, elle atteignit le royaume des ombres où l'Ankou régnait. L’endroit était glacial, illuminé seulement par une lune noire, et les âmes perdues erraient sans but, murmurant des paroles inintelligibles.
Lorsque Maëlys se présenta devant l’Ankou, celui-ci éclata de rire. Il lui demanda si elle pensait vraiment pouvoir le vaincre, elle, une simple mortelle. Mais Maëlys, sans trembler, leva sa lanterne, qui se mit à briller d'une lumière éclatante, symbolisant l'amour pur qu’elle portait à Gwénolé. L’Ankou, surpris et affaibli par cette lueur qu'il ne pouvait supporter, recula.
Dans un dernier cri de rage, il tenta d’attraper Maëlys, mais l'amour qui irradiait d'elle repoussa le Seigneur Noir, le faisant disparaître dans les profondeurs du néant. La malédiction était brisée.
De retour à Lancou, Maëlys retrouva Gwénolé, sain et sauf. La charrette de l'Ankou ne résonna plus jamais dans les rues du village. Maëlys et Gwénolé vécurent heureux, et leur histoire d'amour devint légendaire.
Aujourd’hui, certains disent que, si l'on écoute attentivement les nuits de pleine lune, on peut encore entendre l’écho lointain de la charrette de l’Ankou, errant dans les landes à la recherche de nouvelles âmes, mais qu'il n'ose plus jamais s'approcher de Lancou, où l’amour véritable l’a vaincu une fois pour toutes. ■
L'Ankou, ombre solitaire des nuits bretonnes, est bien plus qu’un simple passeur de mort. Il est le dernier souffle de l'âme, l’invisible témoin des trépassés, celui qui veille à ce que personne ne quitte ce monde sans qu’il n’en ait été averti.
Il est dit qu’il apparaît sous la forme d’un grand homme au visage caché sous un chapeau noir aux bords usés. Ses vêtements, sombres et flottants, semblent faits de brume et de silence. À ses côtés, la fameuse charrette de l’Ankou avance doucement, tirée par deux chevaux mystérieux : l’un d’un blanc immaculé, l’autre aussi noir que la nuit sans étoiles. Le grincement sinistre des roues fend l’air à chaque pas, un son qui, lorsqu’il se fait entendre, glace le sang des plus courageux. Car quiconque entend cette charrette sait que sa fin approche.
Dans les légendes bretonnes, l'Ankou n’est pas toujours un être distinct. Il est souvent l'âme du dernier mort de l’année dans chaque paroisse, destiné à guider les autres défunts vers leur dernier repos, jusqu'à ce qu'un nouveau prenne sa place. Tâche éternelle et lourde, mais acceptée sans révolte, car telle est la loi des vivants et des morts.
L'une des histoires raconte la rencontre funeste d’un forgeron audacieux avec l’Ankou. Une nuit, alors que la lune était voilée de nuages lourds et que la brume s’insinuait entre les arbres comme une mer d’argent, le forgeron, homme robuste et sceptique, croisa l’Ankou sur un sentier. Loin de montrer de la crainte, il se moqua de ce qu’il croyait être une légende de vieillard. « Va, spectre, rentre dans ton cimetière ! Tu ne fais pas peur à ceux qui manient le marteau et le fer ! » lança-t-il en éclatant de rire.
Mais l'Ankou ne réagit pas. Il s’arrêta simplement, leva lentement la tête, révélant sous son chapeau l’éclat de deux yeux aussi vides que la tombe. Dans un murmure, il déclara : « Toi, tu seras le prochain. »
Le rire du forgeron se figea dans sa gorge. Pris d’un frisson glacé, il s’enfuit chez lui, le cœur battant la chamade. Le lendemain matin, on le trouva mort, assis dans son fauteuil, sans une égratignure sur son corps. Le regard figé vers la porte comme s'il attendait une visite qui ne manquerait pas de venir.
Depuis ce jour, dans les campagnes bretonnes, personne n’ose rire de l'Ankou. On veille à ne jamais entraver son chemin, et certaines maisons laissent encore une fenêtre entrouverte pour le laisser passer. Car, quoi qu'il arrive, l'Ankou est patient. Il sait que, tôt ou tard, chacun de nous empruntera son chemin.
Et lui, toujours, attendra, son chariot prêt à vous conduire de l’autre côté du voile.